Mazagao : La ville qui a pris la mer et déménagé

En mars 1769, 120 000 soldats maures et berbères se pressent le long des remparts d’une forteresse, nommée Mazagao, et dont les murs enferment à peine 2000 Portugais. Dans ce confetti portugais en terre musulmane, les habitants font leurs valises. Ils savent que les forteresses de Ceuta, Tanger, Mogador ou encore d’Agadir ont déjà cédées, et que Mazagao est la dernière forteresse tenue par la couronne portugaise sur les côtes de ce qui est aujourd’hui le Maroc.
Les habitants de la place forte n’en sont pour la plupart jamais vraiment sorti. Ils ne connaissent du Portugal que les bateaux qui arrivent de Lisbonne, les cales chargées, pour les ravitailler. Les mazaganistes ont grandi et sont souvent nés dans cette ville-forteresse. Une ville certes assiégée, mais une ville tout de même avec son administration, ses rues, ses familles, ses artisans etc.
Les tentatives de reprise de la forteresse chrétienne par les musulmans ne sont pas nouvelles. En 1561 déjà, 120 000 soldats maures et berbères avaient tenté de reprendre la place forte, sans succès à l’époque. Mais, si les mazaganistes avaient pu tenir le siège à ce moment, c’est grâce à l’aide apportée par la royauté. En 1769, les temps ont changé et la couronne a d’autres plans pour les habitants de Mazagao.
La fondation d’une place forte en terre ennemie.
La fondation de ce qui n’est alors qu’un fortin en 1509 s’inscrit dans la reconquête engagée par les couronnes de la péninsule ibérique contre les Maures, et dans la volonté du Portugal de se rapprocher des îles de l’océan Indien avec lesquelles il commerce. Pour pouvoir contourner l’Afrique, les bateaux portugais ont besoin de comptoirs dans lesquels ils puissent se ravitailler. Mazagao apparaît alors comme un lieu idéal pour cela.
En 1769, l’Afrique et les îles de l’océan Indien ne sont plus un enjeu pour le Portugal. Le pays a un nouveau joyau, un territoire immense de l’autre côté de l’Atlantique, encore très largement inconnu mais supposé très riche. Le Portugal dispose d’une faible population qui ne lui permet pas de tenir face aux Maures en Afrique tout en contrôlant un territoire aussi vaste que le Brésil. Pour la couronne, qui se désintéresse de l’Afrique, les mazaganistes seraient bien plus utiles au Brésil, alors, sans leur demander leur avis, elle prend la décision de leurs faire traverser un océan entier, direction l’Amazonie. Là-bas, les mazaganistes devront créer une nouvelle ville.
Après un long voyage à travers l’océan les mazaganistes arrivent dans ce que l’historien Laurent Vidal, auteur d’un livre sur le sujet, a qualifié de purgatoire. Dans cette forêt amazonienne, les colons doivent faire face à un environnement inconnu et hostile d’un genre nouveau. Le climat aride qu’ils ont connu sur la côte marocaine a été remplacé par un climat humide que les colons ne maîtrisent pas. Il leur est difficile de faire pousser des cultures et quand ils y parviennent, la conservation des aliments leur est rendue très difficile par l’humidité étouffante de la forêt. À Nova Mazagao – c’est ainsi qu’est appelée cette nouvelle ville – les colons souffrent parfois de la faim. De plus, le climat est favorable aux moustiques qui prolifèrent et provoquent des épidémies de paludisme meurtrières. Les conditions de vie dans la ville sont catastrophiques, les esclaves indiens ou noirs ne sont pas les seuls à s’évader, de nombreux colons aussi prennent la fuite dès qu’ils en ont l’occasion pour rejoindre d’autres villes brésiliennes. Ceux qui restent n’arrivent pas à construire des fondations solides pour les bâtiments ; les orages violents qui éclatent pendant l’hiver pourrissent le bois des constructions. Le confinement forcé par les Maures derrière les hautes murailles de la forteresse s’est transformé en un confinement forcé derrière les arbres de la forêt amazonienne. Les Maures ont été remplacés par la forêt non moins effrayante et peut-être plus dangereuse encore qu’une armée entière. L’échec de Nova Mazagao est tel qu’en 1785, la ville ne compte plus que 900 habitants avec les esclaves, contre plus de 2000 à sa création. En plus des problèmes économiques, du manque de nourriture, du confinement, l’alcoolisme est un problème important dans la ville. Petit à petit, les habitants sont oubliés par la couronne portugaise et ils végètent dans leur ville sans prendre part aux bouleversements qui secouent le Portugal et ce nouveau pays devenu indépendant, le Brésil.
Que reste-t-il de Mazagao aujourd’hui ?

En 1915, Le Brésil, devenu un état indépendant, décide de transférer les habitants de Mazagao davantage dans les terres et de les incorporer à une ville qui existe déjà, mais qui sera rebaptisée mazaganopolis. Tous les habitants ne déménagent pas. Certains restent dans l’ancienne ville dorénavant appelée Mazagao velho. Ainsi, non seulement la ville a traversé l’Atlantique mais elle s’est aussi dédoublée, il existe aujourd’hui Mazagao velho et Mazaganopolis parfois appelé Nova Mazagao. Chaque mi-juillet, à la fête de Saint-Jacques, a lieu à Mazagao velho un carnaval qui dure 9 jours et pendant lequel de jeunes brésiliens se costument en soldat Maures et les enfants leur envoient des écorces d’oranges. Des siècles plus tard et à des milliers de kilomètres plus loin, les combats ayant opposés les mazaganistes et les Maures sont rejoués.
Au Maroc, les remparts de la forteresse qui avaient été détruits par les Portugais pendant leur fuite ont été reconstruits. Les Marocains ont renommé la ville El Jadida, ce qui veut dire « la rénovée ». Aujourd’hui, El Jadida est classée au patrimoine mondial de l’humanité.